Franchir la vallée de la mort pour innover

L'innovation implique de mettre en oeuvre une idée. Générer la bonne idée et bien exécuter sa mise en oeuvre sont deux activités fondamentales de l'innovateur.

La vallée de la mort entre l'idée et son exécution

Il est normal qu'un grand nombre d'idées soient générées puis que seulement peu d'entre elles soient exécutées. Cependant il est fréquent que même les idées sélectionnées par des comités décisionnels de haut niveau soient laissées à l'abandon.

Cette pathologie est très répandue dans les entreprises modernes. Elle est appelée la vallée de la mort car les idées doivent franchir la vallée entre l'idéation (la Recherche) et l'exécution (le Développement). 

Vallee de la mort entre idee et son execution

 

Directions de l'innovation, incubateurs, accélérateurs, fab labs et autres ont pour mission de franchir cette vallée.
Dans l'exemple du groupe Safran, la recherche est menée par les départements Recherche et Technologies (R&T) des sociétés filiales mais aussi en central par SafranTech. Les sociétés filiales structurent aussi le développement de nouveaux produits dans des programmes. Enfin la direction de l’innovation a pour mission d'éviter la vallée de la mort en jalonnant et en pilotant le passage de la recherche technologique à la mise sur le marché d’équipements et de systèmes.

Un symptôme majeur de cette pathologie est que des nouvelles relations avec l'extérieur ou entre filiales se crééent, mais elles ne subsistent que pendant l'idéation, elles ne se prolongent pas en partenariats, elles n'aboutissent pas à des projets dotés de financements, d'équipes et de livrables contractuels. Ce n'est donc pas un question d'innovation ouverte ou fermée. La réponse est ailleurs.

Même les directions de l'innovation se heurtent à la vallée de la mort

Afin que des idées en rupture issues des dernières avancées de la Recherche intègrent les processus de Développement, une direction de l'innovation stimule les échanges et la créativité entre Recherche et Développement. Pour piloter cet effort créatif elle emploie des méthodes telles que DKCP ou Design Thinking.

Cependant, même si une direction de l'innovation parvient à faire collaborer Recherche et Développement pour générer des concepts en rupture, en l'absence de dispositif adapté, le phénomène de vallée de la mort surgit à nouveau. Les nouveaux concepts sont laissés à l'abandon comme ce fut le cas chez Safran à la suite de DKCP ou chez GRDF à la suite de concours d'idées. Seules des idées d'innovations incrémentales sont développées.

C'est un préjudice important pour les entreprises qui se voient privées de leurs idées les plus ambitieuses. 

Les limites de l'intrapreneuriat et du prototypage

La solution couramment évoquée consiste à ce qu'un salarié se dévoue personnellement à vendre un concept comme un entrepreneur vend sa start-up à des investisseurs, il est alors qualifié d'intrapreneur. Les intrapreneurs vendent leur concept en présentant un prototype. Les entreprises construisent donc des ateliers de prototypage ouverts à tous les salariés sur le modèle des Fab Labs en espérant que les salariés les emploient proactivement et agissent en intrapreneur. Elles tentent de changer leur culture.

Intrapreneurs en theorie

Mais ces solutions restent très limitées :

- Même avec des Fab Labs, les salariés ne viennent pas spontannément prototyper leurs idées et ils n'en n'ont pas plus qu'avant. Des études constatent que l'animation de communautés est plus importante que le Fab Lab ; les animateurs sont plus importants que les machines. 

- Si les salariés utilisent le Fab Lab, les concepts les moins en rupture sont priorisés comme auparavant.

- Les plus grandes capitalisations boursières françaises ont en moyenne 160 ans et la culture de telles entreprises a une inertie colossale. Les effets d'un investissement pour favoriser l'intrapreneuriat ne sont donc ressentis qu'à très long terme.

- On cite souvent en exemple Google dont chaque salarié dispose de temps pour prototyper ses idées. Mais prototyper une idée dans le secteur du numérique est peu coûteux, par éxemple écrire des lignes de codes et les exécuter dans une sandbox. Dans l'aéronautique, le ferroviaire, le nucléaire etc. prototyper une idée nécessite des ressources bien plus importantes même en simulation numérique.

- Prototyper implique de réduire un vaste concept en rupture à une idée singulière ce qui dégrade l'ambition initiale et réduit le champ des possibles.

Les récits de créations d'entreprises insistent sur l'art de pivoter, de changer d'idée après un échec ayant permis des apprentissages. Cet effort là nécessaire pour franchir la vallée de la mort n'est pas de la vente. Mais de quoi s'agit-il alors ? Si un intrapreneur prototype et un manageur décide, qui pivote ? Et comment trouver du temps pour mener cette réflexion ?

Dans la prochaine page nous résumerons donc les fondements théoriques sur lesquels construire une méthode pour trouver du temps et pivoter afin de franchir la vallée de la mort.

 

Lectures conseillées pour approfondir ultérieurement le problème de la vallée de la mort :
Dans ma thèse voir l'introduction
Markham, S. K. (2002). Moving technologies from lab to market. Research-Technology Management, 45(6), 31-42.
Backman, M., Börjesson, S., & Setterberg, S. (2007). Working with concepts in the fuzzy front end: exploring the context for innovation for different types of concepts at Volvo Cars. R&d Management, 37(1), 17-28.
Magnusson, P. R., Netz, J., & Wästlund, E. (2014). Exploring holistic intuitive idea screening in the light of formal criteria. Technovation, 34(5), 315-326.

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